samedi 28 avril 2012

Un Titanic versaillais

Certaines bandes annonces desservent les films qu'elles sont censées promouvoir. Il y a quelques mois celle du dernier film de Benoît Jacquot m'avait convaincue de ne pas me précipiter dans les salles à sa sortie, alors que j'y étais tentée pour des raisons professionnelles.

Plus tard je me suis rendue compte que les critiques étaient plutôt bonnes, et j'ai donc voulu vérifier ce qu'il en était.
J'ai finalement vu Les Adieux à La Reine hier, et je comprends les critiques très positives qu'il a suscitées. C'est un film virtuose, porté par une mise en scène remarquable. Il vaut sans doute beaucoup mieux que le roman dont il s'inspire car ce qui en fait l'attrait et la qualité ça n'est pas tant l'histoire de la lectrice de la reine (et le triangle amoureux, assez secondaire finalement ) mais ce qu'elle permet au réalisateur de faire sur le plan cinématographique, c'est à dire filmer les "coulisses" du théâtre versaillais, avec tous ces serviteurs qui regardent et épient des puissants sur le point de sombrer; de montrer la panique à bord, le chaos qui s'installe quand le naufrage devient patent – en fait il a un côté franchement Titanic, ce film, pour son univers claustrophobe et ces rats qui quittent le navire ou cet orchestre désuet qui prétend "jouer jusqu'au bout", mais sans les machines et la bluette sentimentale!–; l’adaptation l'autorise enfin d'adopter le point de vue subjectif, à travers cette jeune fille qui est une sorte de "fan" intemporelle dont l'idole est un être capricieux et cruel, parfois calculateur et souvent pathétique, mais qui sait jeter quelques os à son public pour se l'attacher. 
Marie-Antoinette pourrait tout aussi bien être Madonna ou Lady Gaga, Mademoiselle Laborde une groupie d'aujourd'hui qui a eu la chance de décrocher un petit job dans l' entourage de la star, et l'idolâtre tant, qu'elle en accepte l'aliénation conséquente.

Ces Adieux sont souvent filmés caméra sur l'épaule ce qui donne au tableau versaillais une facture moderne (inattendue pour un film d'époque), un rythme qui sied aux émotions et aux courses de la jeune fille en fleur, et un côté "documentaire sur la catastrophe en cours". Bref c'est une réussite indéniable, une belle œuvre de cinéma.


Le seul bémol qui m'empêche de crier au grand film c'est qu'il n'émeut pas, en tout cas il ne m'a pas touchée. C'est intelligent et artistique, souvent bien interprété, mais ça reste un spectacle, sans magie. Il manque à l'intrigue un souffle de vie, et les acteurs ont l'air parfois d'être des images ou des rôles et non des êtres vivants (à part l'héroïne et le vieil archiviste). 
Peut-être parce qu'ils représentent un ancien régime moribond – les rats pullulent parmi les dorures et l'eau du canal est croupie – qui ne vaut pas qu'on palpite pour lui. 

Peut-être pour dire justement que la jeune fille confond rêve et réalité? 

Elle a beau tout regarder et tout nous montrer – y compris parfois sous un angle que son regard ne peut pas saisir, quand elle ne fait que surprendre des scènes et des paroles, ou dans un cadre où elle figure elle-même – elle reste éblouie par la star, refuse de voir et de comprendre; elle préfère le personnage à la personne (comme Paolo le gondolier qui une semaine plus tôt s'appelait encore Léon), la littérature à la vie, la reine au peuple.

Sidonie la lectrice, c'est l'isolement et l' aveuglement mis en abîme; véritable tour d'ivoire à l'intérieur d'un château qui pendant trop longtemps aura été sourd et indifférent. La révolution est hors-champs car nul à Versailles ne l'a vue venir, et pour la lectrice tout ne tourne qu'autour de sa maîtresse.

Sidonie, c'est aussi le spectateur moderne, avide de célébrités, fasciné par les têtes couronnées, dont l'éducation n'empêche pas la servitude quand les images sont plus forte que les mots. C'est la relation à sens unique que les nouveaux moyens de communications lui offrent; le leurre d'un accès privilégié aux êtres censés intouchables.

C'est enfin le cinéma, son public et ses cinéastes, qui n'ont pas cessé de faire les tiroirs de l'histoire, avec une fascination évidente pour la monarchie et les Grands, et une prédilection certaine pour le personnage de Marie-Antoinette. Il est peut-être temps de faire nos adieux à la reine.



Spoiler en manière de post-scriptum: le film qui parle d'aliénation semble finir sur le chagrin et le sacrifice, et une possible annihilation, mais j'aime à croire que les mots dont s'est nourrie la lectrice et qui sont ses seules armes dans la vie, auront semé en elle les germes d'une émancipation future, et je reste sur l'image de son visage à la fenêtre de la voiture qui l'emporte loin des grilles du château, un visage qui s'offre au vrai soleil, saluant le monde extérieur, humant ce qui pourrait bien être un parfum de liberté.